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9 novembre 2009 1 09 /11 /novembre /2009 05:46

 

La fête est toujours ancrée dans un temps, un lieu et une communauté qu’elle soit familiale, professionnelle, locale, profane ou religieuse, elle crée une intimité collective.C’est le temps de l’altérité, de la rupture avec le quotidien, un temps d’exaltation des émotions, de l’excès, du chant, du jeu et de la danse jusqu’à l'épuisement des corps.
Elle répète des usages et des gestes traditionnels et codifiés et en même temps évolue. Elle peut aussi provoquer désordre et violence et mêle toujours des sens multiples. Les fêtes sont souvent liées aux moments importants du cycle de la vie, naissance, mariage et mort, à des fêtes calendaires ou pour un événement exceptionnel. Elles sont marquées par des banquets, de beuveries, des jeux, de la musique et de la danse mêlant rituels religieux et populaires. Les excès, malgré que condamnés par les diverses institutions religieuses et politiques, ne peuvent être empêchés et prennent tout leur sens pour les pratiquants (ex : fête de fous, des Innocents).

Les fêtes profanes avec les fêtes saisonnières (moisson, vendanges), à date fixe (1er mai) ou calendaires (en fonction du calendrier lunaire) comme le carnaval sont caractérisées par des pratiques sociales, alimentaires, des jeux traditionnels, des rites de passage, l’apprentissage de la sexualité, la dérision du mariage et même par une contestation politique.

Il y a un réel intérêt symbolique à observer ces manifestations où la ville est mise en scène, le carnaval étant pendant longtemps le seul événement où légalement le travestissement était toléré renversant l’ordre social et sexuel établit tout comme dans son rapport à la nature avec les déguisements d’animaux. La fête permet d’unir les participants en une même communauté  abolissant les barrières sociales (de classes, d’âges, de croyances…), rompant les cadres sociaux pour un temps.


Que peut donc être en jeu dans une fête typiquement occidentale et contemporaine qu’est la fête techno ?

 
Ni une Révolution, ni un lieu, ni une chose, c'est une expérience esthétique et poétique avec soi-même et les autres, intime et collective. Un voyage dans le temps pour (s') oublier le temps de la fête et rechercher l'inoubliable. Un temps en annulant un autre.

Il faut comprendre l'aspect musical et artistique du phénomène car la musique techno prend tout son sens dans ses contextes festifs d’une grande diversité ; ses musiques sont multiples de la House au Hardcore en passant par la Techno, l'Acide, le Garage, l’Ambient, la Jungle, la Drum and bass, la Trance, j’en passe et des meilleures, de la rave au clubbing.

Dans les sociétés premières, la musique est un acte communautaire: il n'y a pas de division public/auteur/œuvre. L’ensemble de l'assistance est participant. L'acte obéit à des règles sociales indiquant de quels instruments jouer et comment. Il est un soutien à l'action. Il intervient dans la magie, la religion, la thérapie ou la politique. La première forme du musicien est celle d'un entremetteur social. En Occident même si la musique est toujours la manifestation d'une culture collective, elle en délègue l'exercice à des catégories spécialisées. Il y a une division entre interprètes-créateurs d'un côté et auditeurs de l'autre. La participation à la musique se fait plus éduquée, plus attentive, moins démonstrative. D'un point de vue sociologique, le musicien technotribal est un coup d'arrêt au culte de la personnalité de l'artiste et à sa mise en apothéose lors des interprétations. Les gens viennent plus pour un genre musical et une expérience que pour un Dj et se déplacent constamment au milieu des différents sounds-systems aménagés.

A ses débuts la musique techno ne cherchait  pas la consensualité, à atteindre le plus grand nombre, elle s'est aujourd'hui étendue comme tout phénomène culturel sous l'emprise de la marchandisation, les lieux sont moins originaux, le nombre de participants est limité, le prix de l'entré augmente et la musique stagne dans son évolution tendant vers la disparition du sens premier de cette fête dépassée par elle même.
Dans la free-party la musique redevient une pratique communautaire où l'essentiel de la population vient chercher un contact avec la contre-culture technoïde. Pourtant le climat au sein des teufs paraît beaucoup moins pacifique et semble rentrer dans une logique d'exploitation de l'autre dans un échange se rapportant au don et à l'achat. La méfiance envers l'autre et la perte des repères entre véritables teuffeurs, "touristes" et dealers semblent imiter tristement les modèles sociaux habituels. Il semble donc que les caractères utopiques tels que la solidarité, la liberté et la gratuité constitutifs de ce mouvement tendent plus à s'amoindrir qu'à la création d'une véritable idéologie.  

 
                   


Les raves et les teknivales sont au cœur du mouvement techno qui rassemble des milliers de personnes  pour danser et faire la fête sans limites. Ces rassemblements suscitent des rejets catégoriques car organisés en marge des circuits noctambules institués, accompagnés de drogues psychotropes, demeurant "hors normes" et suscite une incapacité pour l'observateur extérieur à comprendre totalement le vécu du raver.  Les participants sont arrachés au temps, bousculés par la totalité créée par la musique, les lumières et les visuels, entraînés par la foule des danseurs. Tous les moyens sont mis en œuvre pour conditionner une rupture. Le mot sortir prend ici un sens profond dans la volonté de s'extraire d'une vie sociale bien réglée pour vivre autre chose. C'est également dans le moment qui précède la fête avec l'idée de secret, d'aventure, de voyage que la rupture avec le temps socialement organisé et le déconditionnement de la pensée s'opèrent. La rave devient un rite particulier de la fin de semaine avec ses propres rituels de participation et d’identification.


Les raves redonneraient en principe à la fête son pouvoir de liaison et de partage et participeraient à une résistance contre les activités rationnelles et purement économiques édictées par le modèle dominant, comme si l'homme exprimait le besoin d'inventer singulièrement et collectivement des zones ou des moments d'excès dans les marges afin qu'il puisse parvenir à l'entièreté de son être. Les raves témoigneraient d'une constante chez l'homme à la dépense improductive et incarneraient en ce sens la part maudite des sociétés contemporaines hors de la raison et de l'ordre. Ce serait faire preuve d'ethnocentrisme que de considérer nos sociétés occidentales comme ayant dépassé le primitivisme; ce retour de l'archaïque marque en tout cas fortement l'imaginaire, les valeurs, ainsi que les comportements, au delà même de la techno, comme il est constaté dans la multiplicité des attitudes actuelles liées au tribalisme, au nomadisme, au dionysiaque, ou à la transe. Les participants s'imaginant voyager dans un contexte extraordinaire, en rupture avec leur environnement quotidien opérant un conditionnement culturel et pourtant bien ancré dans la réalité présente. Vivre mal semble donc consister à intégrer et par cela accepter ce qui dans la tradition occidentale a longtemps été rejeté et qui pourtant réside en nous. Se laisser aller à la transe c'est en premier lieu accepter de remettre temporairement en cause sa conscience ordinaire mais à ses risques et périls. L’individu, qui s'épuise dans l'acte, tend à se perdre, à découvrir des sphères cachées de son existence en s'investissant dans une expérience esthétique créative mais dont le but premier reste avant tout celui de s'éclater dans le présent. Cette volonté d'être présent ici et maintenant renforce le clivage entre musique populaire et art savant. 


La fête remplit donc une fonction essentielle dans la vie des hommes. Faire la fête permet de mieux supporter l'ordre social en vivant le temps d'un moment autre chose avec l'autre. Elle recrée le lien social. Trois éléments sont essentiels: le jeu, la rupture avec le quotidien et la transgression, la transcendance. L'importance de la transgression de l'ordre social est particulièrement importante chez les ravers, pour certains elle représente le "sens transcendant" qui est l'essence de la fête. C'est l'esprit particulier aux raves que décrivent les participants et dont ils craignent la disparition du phénomène avec la massification du mouvement et les fêtes légales. Ce sens de la fête est insaisissable et naît d'un désir porté par l'ensemble. La gratuité du temps de la fête, son caractère improductif (en tout cas en apparence puisqu’elle entraîne des échanges économiques et sociaux), la décision ferme de rompre, le don de soi contribuent à l'irruption de son sens transcendant mais avant toute chose le premier sens à comprendre dans toutes les diversités présentes dans la techno n'est pas politique ou idéologique mais proclame le droit à faire la fête.

Sur ce je vous souhaite à tous un
                                                     
                       

Delphine 

 

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