Vendredi 28 janvier. Berlin. 1h30 du matin. Icon club. A l'occasion de la sortie de « Long Distance », son dernier opus, Onra a entrepris une tournée européenne. Ce soir nous sommes aux premières loges.
Club réputé pour ses lines up drum'n bass, malgré une programmation éclectique,l'Icon est à taille humaine.Sa salle principale, avec ses arcades, ses murs et ses plafonds faits de briques rouges, a des allures de cave.Un espace qui n'est pas sans rappeler les petites salles de concerts et restos français.
On est un peu loin du « standing » berlinois. D'ailleurs, il arrive fréquemment que les français d’ Ed Banger viennent faire leur set dans ce club. Il n'y a certainement aucun lien mais je le fais.
Le set d’Onra débute. Il est accompagné au clavier de son ami Buddy Sativa. L'entrée en matière avec « my comet » est idéale et jette le public dans l'ambiance de son show.
Mais rapidement quelque chose contrarie notre artiste. Les échanges avec Buddy et le technicien son se multiplient. Il jongle d'une machine à l'autre à une cadence infernale. Les transitions échouent. Jusqu'à ce qu'il finisse par stopper son set pour faire une intervention au micro. Il explique aussitôt à la salle que sa deuxième MPC vient de le lâcher, sachant que la première lui avait fait faux bond juste après son arrivée à Berlin - certainement pendant le transport.
Les explications qu'il nous donnera pendant l'entretien seront plus précises mais pour tenter d'être clair, les boucles qui se chevauchent et qui forment une séquence ne peuvent durer que quelques secondes alors qu'elles sont censées durer 2-3 minutes. Pour éviter la déconfiture, il lui est nécessaire de pratiquer un exercice qui ne relève pas des aptitudes humaines. Il y parviendra tant bien que mal, mais le résultat est loin de la performance qu'il envisageait. Déception.
A la fin du set, nous le rejoignons pour une petite interview. Rencontre:
Il est 3h00. Il n'y a pas de backstage à disposition. Nous sommes dans le sas de l'entrée, seul endroit où nous pouvons nous entendre. L'ouvreuse nous redirige vigoureusement vers l'espace fumeur. Emplacements qui ne font pourtant pas légion dans les clubs berlinois. Onra est accompagné de Buddy. Verre dans une main, cigarette dans l'autre, le moment est à la détente : C’est avec simplicité et enthousiasme qu’il répond à nos questions
- Déclinaison de l'identité:
Onra (Arnaud Bernard), 29 ans, Beatmaker parisien, né en Picardie, arrivée à Paris en 2000.
- Quand t'est venue l'envie de faire des productions, de créer des beats , de travailler sur une MPC (station de production utilisant un séquanceur musical et un échantilloneur) ?
Et plus largement, quand as-tu découvert que tu étais mélomane?
Comme beaucoup d'enfants, j'ai baigné dans la musique par l'intermédiaire de celle qu'écoutaient mes parents.
Ma mère faisait des allers-retours fréquents en Côte d'Ivoire pour son travail.
J'ai découvert le hip-hop vers l'âge de 10 ans pendant mes séjours là-bas et aussi par l'intermédiaire de mon demi-frère qui m'a fait regarder des émissions comme « rap line » et ramenait des cassettes en rentrant de ses séjours à Paris. En Côte d'Ivoire, c’était à travers le poste radio de la maison, mais aussi dans la rue où nombre de jeunes écoutaient et pratiquaient..C'est là que j'ai commencé à avoir une nette attirance pour cette musique. Vers 97/98, on s'amusait avec des potes à rapper mais comme ça, sans instrus. On envisageait rien du tout. Il n'y avait rien de sérieux.
En 1999, j'ai commencé à pratiquer sur le logiciel EE-Jay, à créer des loops, etc.
Puis en 2003 j'ai acheté ma première MPC, le modèle 1000.J'ai passé énormément de temps dessus, sachant qu'en parallèle, je continuais mes études (en école de commerce-ndlr- ).
J'avais un pote qui me gravait des CD's. C'était surtout les nouveautés U.S, ce qui marchait à fond Transatlantique.
Après le bac, j'ai commencé à sortir non-stop voir des concerts, et toutes les semaines je faisais l'achat de 5-6 albums.
- Advient ensuite ton premier album, "Tribute"...
Ouais, donc rencontre de Quetzal en 2006, un producteur parisien, et un pote aujourd'hui.
La même année on a sorti cet album. c'est une compilation de musiques soul revisitées.
On finira par vendre 2000 albums, ce qu'on n'envisageait pas du tout.
- Et la rencontre avec Byron the Aquarius pour "The Big Payback" ?
Ca s'est fait par Myspace. C'est un producteur d'Alabama. Une espèce d'illuminé surdoué qui manie son clavier comme pas deux.
Ce qui est fou, c'est qu'il fait partie de ces gens retranchés dans le fin fond de la campagne américaine, je sais pas si tu vois, et qui n'a aucune prétention musicale ni ambition particulière. Juste un passionné.
- Puis l'arrivée de "Chinoiseries" qui t'a propulsé. Un album dont les sonorités sont nettement orientales, même asiatiques.
Apparemment l'inspiration t'es venue de l'un de tes voyages.
En fait, après un voyage au Vietnam à Saigon dont mon père est originaire, j'ai eu l'opportunité de faire l'acquisition de Vinyls de musiques traditionnelles viet' et chinoise. Une réussite bien inattendue.
- Réussite dont la totalité des bénéfices faits à la suite des ventes du CD, a été reversée à une association d'orphelins au Vietnam.
J'ai eu l'occasion de me rendre dans plusieurs associations humanitaires et j'ai fait mon choix pour l'une d'entre elles. Il y en a tellement là-bas...
Celle en question s'appelle "la goutte d'eau". Je suis retourné les voir lors d'un second voyage.
- Sur "Long Distance", l'album dont tu fais la promotion à travers ta tournée actuelle, il y a le notable featuring de T3 des Slum-Village (groupe hip-hop de Detroit).
Pffff!!! Putain c'était génial.. C'était du domaine du rêve. Maintenant c'est fait. Ca donne des idées pour la suite.
- Ton album se situe dans le top 10 de Phonica Records et dans le top 25 de Picadilly album of the year.
Picadilly ça fait vraiment plaisir, ils sont assez sérieux. C'est une vraie reconnaissance pour moi.
- Les beats sont très "funky" sur cet opus, et les précédents, excepté "Chinoiseries", sont largement imprégnés de "black music". Est-ce que ça restera ta marque de fabrique ou bien tu souhaites toucher à d'autres styles?
Ah mais non !! Il est clair que mon inspiration est basée sur le Hip-hop. Je suis un fan inconditionné de Jay-Dee (Beatmaker américain de génie de Détroit). mais j'écoute également beaucoup de rock des 60's et 70's, ainsi que du rock progressif dont je suis de plus en plus friand.
En ce moment je travaille sur des sonorités plus électro.
Peut-être un nouveau projet aux tendances Deep-House...
- "Chinoiseries part II" est en cours. La sortie est prévue pour quand? La barre a été placée haute avec le premier volet. Notamment avec le titre "the Anthem"; Comment as-tu abordé ce nouveau projet?
Chinoiseries part II est censé être prêt. D'ailleurs il a été terminé à plusieurs reprises mais je suis beaucoup plus intransigeant aujourd'hui, et je rentre dans le cercle vicieux du perfectionnisme . Il comportera 32 titres comme son prédécesseur, ce qui en soit est pas mal, mais il faut savoir qu'il m'arrive d'écouter 50 instrus par jour !! Surtout après le succès du premier, c'est très difficile pour mi de faire un choix final. La maison de disque commence à pas mal me le rappeler (rires).
- Ton meilleur public? Live?
Sans hésiter, la Pologne! Les gens semblaient pour la majorité connaitre mes productions et c'était vraiment une ambiance de fête. J'ai pu me rendre compte de l'exigence de ce public en discutant avec certains après mes shows. Ils sont plus pointilleux et exigeant.
- Merci Onra pour cette interview. On te souhaite bonne chance pour la suite de ta tournée. Destinations?
C'est moi qui vous remercie. Je retourne à Paris pour un "tribute" à Jay-dee le 19 février à la Bellevilloise Puis à partir de mars aux Etats-Unis. En espérant que le matos ne me claquera pas dans les doigts cette fois-ci...
Remerciements à Louis Fabriès pour les photos. http://www.louisfabries.com