Ce mois-ci, chers lecteurs, nous avons rendez-vous avec Clément Lefèvre illustrateur français talentueux à l'imagination débordante pour une interview exclusive.
Décris moi ton style.
Je m'attache surtout à la narration. Le but est surtout de raconter des histoires et d'essayer de procurer un minimum de plaisir par mes images. J'essaie autant que je peux de m'approprier les textes sur lesquels je travaille pour raconter une histoires dans l'histoire.
Dans Le voleur d'enfants, j'ai tout axé sur le personnage, sur son physique : ça se passe dans la forêt, c'est une espèce de personnage des bois, une sorte de vengeur masqué. Je voulais en faire un personnage inquiétant et essayer de tromper le petit lecteur dans la première vision qu'il en aurait. On pensait que c'était important de lui donner une identité forte. On voulait induire le lecteur en "erreur" et lui donner la possibilité dans une relecture de voir le personnage autrement, histoire de dire qu'il ne faut pas se fier aux apparences. Il est silencieux. Il se déplace comme un oiseau de nuit. L'oiseau noir qu'il a sur l'épaule sur la première page le guide, c'est un peu son double. Tout ça n'existe pas dans l'histoire, c'est quelque chose que j'ai amené en plus et que j'ai proposé à Michaël (Escoffier).
Pour Le déserteur, l'exercice était différent. Le texte de Boris Vian à lui tout seul est déjà très fort. Il est ancré dans notre culture. Ca ne m'intéressait pas de dessiner chaque strophe telle qu'elle était racontée. J'ai préféré jouer sur des petites métaphores. Le but étant, encore une fois, de me procurer du plaisir à faire des images et d'essayer de leur donner un sens qui est le mien. Dessiner pour dessiner, je l'ai beaucoup fait (et le fais encore parfois), j'ai fait des images pour des livres scolaires où quand on te demande de dessiner un camion : tu dessines un camion. Tu ne te poses pas de questions.
Mais je réponds encore un peu à côté de la question. Pour moi "un style" ça ne veut pas dire grand chose en fait, on est tous imprégné de beaucoup de trucs, de notre vécu, de nos lectures, de films qu'on aime et on digère un peu tout ça avant de le ressortir à notre façon. Faire du style pour moi c'est quelque chose de contrariant, il faut essayer d'aller à l'encontre de ça. Tu ne fais pas du dessin pour faire du style, mais pour raconter et pour que ce soit personnel.
Quel est ton parcours ?
Je n'ai pas de formation en illustration. J'ai toujours eu envie de dessiner. Je faisais des "bêtises" dans mon coin. Je n'étais pas bon à l'école, enfin, c'est surtout que ça ne m'intéressait pas et avec le recul, je me dis que c'est dommage. J'ai fait une seconde Arts Plastiques et à la fin de cette année j'ai réalisé que ça ne me convenait pas. Je suis rentré dans une école de graphisme où j'ai fait pendant cinq ans de la mise en page, de la communication visuelle. A la fin, on m'a proposé un travail dans une agence dans laquelle j'ai bossé deux ans. Je me suis ensuite installé en freelance en temps que graphiste et j'ai commencé à travaillé pour des manuels scolaires à faire des petits cabochons et d'autres petites choses. Ça a démarré comme ça, très modérément. J'ai rencontré un illustrateur d'une de ces maisons d'édition qui avait besoin d'un coloriste, il m'a un peu pris sous son aile.
Et puis j'ai commencé à fréquenter le Café salé (site Internet regroupant des illustrateurs) et j'ai produit des images uniquement pour pour poster sur mon topic et avoir des critiques qui me permettraient d'avancer sur ce que je pouvais faire de plus personnel. D'ailleurs ça a commencé avec une image, librement inspirée du travail de Jérémie (Almanza), sur le thème des pirates. Je connaissais un peu son travail et ça m'avait scié. Je me suis dit que j'aimerais bien faire des choses aussi fortes mais je n'ai toujours pas réussi (rire). Ça m'a mis le pied à l'étrillé. Il y a eu de chouettes retours et ça m'a motivé. J'ai créé le blog à peu près en même temps.
Tout ça m'a fait faire de jolies rencontres, d'abord celle avec Michaël (Escoffier), qui a écrit Le Pitou et Le voleur d'enfants puis celle de Benjamin (Lacombe) qui m'a pas mal aidé. Il m'a conseillé et m'a présenté Sébastien (Perez). J'ai rencontré également Kness la co-fondatrice du Café salé et de sa maison d'éditions, qui m'a fait faire plein de trucs chouettes. Puis, il y a eu la rencontre avec Barbara (Canepa) qui a été super aussi. Elle est tombée sur une image pour une exposition du Café salé sur le thème "Rêves et Cauchemars" et a voulu que j'en fasse un projet pour sa collection et m'a présenté Bruno Enna avec qui je travaille en ce moment.
Quelles sont tes influences ?
Il y en a une multitude. Il y a des gens qui m'ont marqué. Un des premiers qui m'a vraiment donné envie de dessiner, étant ado, c'est Régis Loisel. J'étais tombé sur Peter Pan, puis La quête de l'oiseau du temps et après j'ai acheté ses carnets de croquis qui m'ont sécoué et je me suis dit : "c'est ça que je veux faire quand je serai grand". Il y a eu Claire Wendling qui m'a bouleversé avec ses dessins, Rabaté aussi, ainsi que De Crécy. Et puis après il y a eu pas mal d'inspiration japonaise : Miyazaki (Le voyage de Chihiro), Takahata (Le tombeau des lucioles) pour la narration. Je te sors des banalités parce que dans ces cas là je ne sais jamais qui citer, mais c'est vrai que ceux-là me reviennent sans cesse en tête. Mes derniers gros chocs visuels en tout cas vont du côté de Maya Mihindou et Jérémie Almanza qui ont changé ma vision du dessin. J'ai découvert leur travail par le Placard à chocolat (blog). Ça a été pour moi presque une révélation. Ils ont une force tellement incroyable dans leur travail.
Comment choisis-tu les personnes avec qui tu travailles ?
C'est beaucoup le fruit du hasard. La plupart du temps ce sont des gens que l'on m'a présenté et avec qui des affinités se sont créées. Pour le journal de Spirou, par exemple, (numéro actuellement en librairie) avec Guillaume (Bianco), c'était une super rencontre. On ne se connaissait pas plus que ça. Ca s'est très bien passé. J'ai appris beaucoup de choses à ses côtés, il a un vrai sens de l'écriture de la bande dessinée et des idées en pagaille.
Mais souvent c'est déjà des copains comme Julien Alday dans le Brume du Café salé. Il y a des gens avec qui j'aimerais bosser, mais je n'ai jamais eu le cran de le leur demander. C'est un manque de confiance en soi. Je crois plus aux rencontres elles-mêmes. On se voit, on s'entend bien et au cours d'une conversation, on se dit : "Tiens on ferait bien un truc". C'est ce qui s'est passé par exemple avec Sébastien Perez.
Est ce que tu as un livre en ce moment à conseiller aux lecteurs du blog ?
J'en ai un dans la poche en ce moment que je n'ai pas fini de lire : c'est le Sabine de Maya (Mihindou). Je l'ai commencé tout à l'heure et ça a l'air fantastique. C'est un peu philosophique avec des thèmes qui me parlent beaucoup… Il y a Le soupire aussi Marjane Satrapie aussi qui est un très joli conte.
Quels sont tes futurs projets ?
Il y a le projet Susine le Dorméveil en trois tomes dans la collection Métamorphose chez Soleil prévu pour septembre 2012.
Un projet de bande dessinée encore secret avec Séverine Gauthier
Ainsi que Le peintre des drapeaux, qui est un petit livre Jeunesse qui sortira chez Frimousse avec Alice Brière-Haquet. C'est un texte sur la paix que je vais essayer de traiter le mieux du monde.
Et pas mal d'autres choses...
Vous pouvez retrouver les illustrations de Clément Lefèvre dans :
- Thomas et le magicien, écrit par Sébastien Perez, éditions du Seuil,
- Le Pitou, écrit par Michaël Escoffier, éditions Frimousse,
- Le voleur d'enfants, écrit par Michaël Escoffier, éditions Chocolat,
- Le déserteur, écrit par Boris Vian, éditions Petit à petit,
- Brume, ouvrage collectif, Café salé,
et sur son blog Les cartons de Nenent : http://nenent.blogspot.com .
Merci à Clément et rendez-vous le mois prochain pour de nouvelles aventures.
Marine DENIS