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16 décembre 2010 4 16 /12 /décembre /2010 14:07

 a.b-greveLes Z’infomanes ont réalisé une interview avec André Bouchut, un paysan récemment sorti d’une grève de la faim pour dénoncer un non-respect de la démocratie et pour lutter contre la crise du lait qui désespère des milliers d’agriculteurs. Chacun de nous consomme quotidiennement plusieurs produits laitiers. Mais il faut savoir qu'au début de la chaîne de production, les agriculteurs vendent leur produit à perte. André Bouchut a une petite ferme de 5.5 hectares dans la Loire. Il est aussi trésorier national de la Confédération Paysanne, un syndicat agricole devenu célèbre avec José Bové. Lisez ces propos militants pour comprendre les enjeux du lait : un emblème de l’agro-alimentaire français.

"Pouvez-vous nous expliquer la situation du secteur laitier et pourquoi réagissez-vous maintenant ?
A.B : L’an dernier, en France et en Europe de l’Ouest, il y'a eu énormément d’actions de paysans contre le prix du lait qui était beaucoup trop bas. L’Union Européenne a décidé de faire baisser les prix. Les producteurs de lait n’arrivent plus à en vivre. Le système libéral amène à ce qu’on ne fixe plus de prix. Des actions et des grèves du lait ont eu lieu dans toute l’Europe : pendant plusieurs jours, des paysans ont refusé de livrer le lait, ils l’ont jeté. C’était ainsi en France, en Suisse, en Allemagne, en Belgique et dans beaucoup de pays. Malgré toutes ces actions au niveau européen, le prix du lait n’a pas ou peu remonté.  En fait, il avait baissé de 30 ou 40%, et il n’est remonté que de 10%. Un paysan sur deux n’arrive plus à en vivre aujourd‘hui. On a réalisé que ces actions européennes n’ont pas pu influer sur le prix du lait. Donc nous avons décidé d’attaquer ailleurs, d’occuper la Maison du Lait et de faire une grève de la faim. Nous avons pris le problème par un autre côté et avons mis les problèmes fondamentaux sur la table. Nous voulions attaquer toutes les instances qui organisent la filière du lait.
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Les producteurs en colère jettent des centaines de litres de lait pour protester contre les prix trop bas, qui ne leur permettent plus de vivre de leur activité. (photo AFP Franck Perry)


Pouvez-vous nous détailler les récents événements de la lutte de la Confédération Paysanne face a la crise du lait ?
A.B : Entre septembre et octobre, nous avons mené une action syndicale de la Confédération Paysanne à Paris qui a duré pendant 41 jours. La Maison du Lait regroupe toutes les organisations qui s’occupent de la gestion du lait en France. La Confédération Paysanne a occupé ce très bel immeuble au centre de Paris pendant 35 jours de manière illégale. Illégale car interdite par la loi, mais selon nous, c’était légitime car dans la Maison du lait, ne sont représentés que les responsables syndicaux du premier syndicat français de l’agriculture : la FNSEA (Fédération Nationale Syndicat des Exploitants Agricoles). Ce lieu n’est pas démocratique puisque un seul syndicat est autorisé à représenter l’ensemble des paysans. Nous sommes exclus de cet endroit là, ce qui est complètement scandaleux.

La question essentielle était la démocratie. Il fallait que tous les syndicats paysans, représentatifs en France, c’est-à-dire qui obtiennent plus de 10% aux élections, puissent être représentés dans les institutions. Contrairement à ce qu’on pourrait penser, en France qui est le Pays des Droits de l’Homme, la démocratie dans le secteur de l’agriculture n’existe pas vraiment. Officiellement, la démocratie existe mais en réalité, un seul syndicat a quasiment tous les pouvoirs : La FNSEA. Cette fédération a tellement de pouvoir que lorsqu’elle veut que quelque chose se fasse ou non, elle « donne directement l’ordre au ministre » de faire ou de ne pas faire ; donc ça va très loin. Face à cette iniquité, nous avons commencé l’occupation de la Maison du Lait. Au bout de quelques jours, nous avons réalisé que nous ne pourrıons pas gagner. Ainsi, avec trois paysans, nous avons commencé une grève de la faim qui a duré pendant 21 jours.
On s’est battu pour le droit à la démocratie, c’était difficile. La grève de la faim n’est pas difficile lorsqu’on a décidé de la faire, par contre, ça a été dur, tendu car nous avons été expulsés de la Maison du Laıt,  et on s’est rabattu sur d’autres endroits.
Nous avons réussi à obtenir –non pas notre demande– qu’il y ait une démarche qui nous permette de rentrer dans cette interprofession. Ça nous a aussi permis de rencontrer l’ensemble de la classe politique qui a pris conscience de l’iniquité de cette institution du lait et a promis d’en changer les règles.
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Quel est l’avis de la Confédération Paysanne sur le changement de la politique agricole européenne prévue en 2013?
A.B :  D’abord pour recadrer, revenons en 1960, c’est le moment où la politique agricole commune a été mise en place.  Jusqu’en 1992, il n’y a eu aucun changement. Donc en 30 ans il n’y a eu aucune réforme au  niveau européen, ce qui est une erreur fondamentale puisque l’agriculture a énormément évolué en 30 ans. Ainsi on est arrivé à des surproductions sur l’ensemble de l’Europe, notamment dans le secteur laitier. A Bruxelles, il y avait des tonnes de beurre et de poudre de lait dont on ne savait que faire. Mais, on subventionnait la production pour l’exportation, ce qui d’ailleurs a tué une partie de l’agriculture mondiale. En 1992, il y a eu cette réforme de la politique agricole commune qui a préparé l’entrée de l’agriculture dans l’OMC (Organisation Mondiale du Commerce). En Europe, nous avons décidé de baisser les prix de certaines productions, notamment la viande et les céréales, en compensant avec des subventions accordées aux paysans.
Apr
ès des réformes en 1999 et 2003, en 2008, les quotas laitiers ont été complètement supprimés, c'est-à-dire qu’on fait surproduire les producteurs pour obtenir des prix plus bas. neplustraire2

La réforme de 2013 si elle se poursuit dans ce sens très libéral devrait continuer à supprimer les quelques règles qu’il reste. Il faut savoir que par exemple en 1989, plus de 150 prix de produits agricoles européens étaient fixés au niveau de l’administration européenne. Maintenant plus aucun prix n’est fixé au niveau administratif ; c’est le marché, un marché de dumping, très libéral, qui fixe les prix. C’est pourquoi de nombreux paysans disparaissent très vite. Cela a des conséquences en Europe mais aussi dans le monde entier.
La réforme de 2013 arrive bientôt ; tout le monde réalise les dégâts provoqués par la libéralisation. La crise alimentaire de 2008 n’était pas une crise de pénurie alimentaire mais une crise d’accès à l’alimentation. Vu qu’on a fait rentrer les céréales et le blé dans les marchés spéculatifs, il y avait assez de céréales mais les spéculateurs ont retenu  les marchandises et le prix est monté très haut. Et après quand la bulle spéculative s’est relâchée, le prix est descendu très bas. Aujourd’hui il remonte à nouveau très haut, c'est-à-dire qu’on revient dans des phénomènes spéculatifs et on peut prévoir la même situation.

Quelles sont les solutions pour l’avenir ?

A.B :  Aujourd’hui il y a deux solutions. Soit l’Europe continue dans ce sens là : à libéraliser, à mettre en place des marchés boursiers sur des produits agricoles. Puis on continue avec un marché subventionné pour certains pays, avec du dumping social pour d’autres pays, et des problèmes environnementaux mondiaux qui se poursuivent. Soit on change de direction.
Aujourd’hui, l’Europe est dans le sens de la libéralisation ; la crise alimentaire de 2008 a conduit les gens à réfléchir. L’arrivée d’un nouveau commissaire européen laisse espérer : Dacian Ciolos (un roumain francophile) prône la sauvegarde des petites fermes en Europe. Il vient de faire des propositions pour modifier les subventions européennes.

Mais on sait aujourd‘hui que l’Europe est en train de se diviser : au Nord des pays très libéraux : la Hollande, l’Angleterre, le Danemark, la Suède. Ces pays-là ont abandonné l’agriculture comme outil de production. Les fermes qui peuvent résister résistent, les autres sont éliminées. D’un autre côté, il y'a les pays du Sud : l'Espagne, l'Italie, la France, la Grèce... Eux souhaitent plus de protection pour garantir l’agriculture. Et puis, il y'a aussi tous les pays de l’Est auxquels nous avons donné très peu d’argent lorsqu’ils sont rentrés dans l’Europe. Ils ont eu droit à 25% de subventions par rapport aux subventions touchées par les paysans de la vieille Europe.
Donc nous avons deux solutions : soit on est capable d’arrimer ces pays d’Europe de l’Est à l’Europe du Sud en leur donnant des aides et en préservant les petites fermes. Dans ce cas nous aurions une politique européenne moins libérale. Soit nous ne sommes pas capables de cela, les libéraux vont gagner et ce sera dramatique pour les paysans.
Si on ne change pas l’orientation mondiale de l’agriculture, si on ne sort pas l’agriculture de cette mondialisation effrénée, on va tous, si je peux me le permettre, on va tous crever… on va tous crever les paysans."

 

Propos recueillis par Askın Seçkin, Abdullah Aysu et Florence Tapiau - 


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